Fenêtre sur nuit

Il leur dit soyez sage, le soleil est là. Assis au fond de la pièce ils attendent, impatiemment tranquilles. Il leur dit :
– N’avancez pas trop vite ou le soleil pourrait s’enfuir.
Ils avancent précautionneusement, suivant au sol le rai de lumière.
– Stop !
Il les regarde, qui parviendra à rester immobile ? Les enfants ne bougent pas. Il se retourne.
– Le soleil est toujours là ? demandent-ils.
Il laisse passer de longues minutes avant de répondre oui. Ils progressent à nouveau. Les voilà près de la fenêtre. Ils sentent sa chaleur à travers le rideau. Il leur dit ne le regardez pas trop fort. Ils acquiescent. Ils passent de l’autre côté du rideau, et n’ont que le temps de voir le dernier rayon plonger sous l’horizon. Le front contre la vitre, ils voient le jour se coucher et la nuit se lever. Les ombres valsent de sous les arbres, s’étendent sur la plaine dans un sombre ballet qui éteint la lumière.
– 1, 2, 3, pénombre ! s’écrie-t-il, en ouvrant grand les bras.
Ça ne les fait pas rire. Elle commence à renifler, en serrant sa poupée, un baigneur pâle aux cheveux blonds. Son grand frère, sourcils froncés, tambourine de plus en plus fort à la fenêtre.
– Arrête, dit le père. Enlevez vos lunettes et regardez.
Ils hésitent. Le garçon soulève un peu ses lunettes, puis un peu plus, les retire tout en plissant les yeux, puis grand ouverts.
– Tu peux les enlever, dit-il à sa sœur.
Elle s’exécute sans hésiter.
– Oh, regarde, dit-elle en montrant le ciel.
Ils observent la lune installer ses quartiers, les étoiles descendre d’un chariot et dresser la grande ourse, une chouette que rien n’effraie.
– Regarde un renard !
– N’importe quoi c’est un chat !
– Tu vois encore plus mal que moi ! Papa, dis-lui que c’est un renard.
Il ébouriffe leurs cheveux platine.
– Papa, hein qu’il n’y a pas de renard ici !
La fillette hausse les épaules.
– Regarde, un oiseau dans l’arbre ! s’exclame-t-t-elle en secouant la manche de son frère.
– N’importe quoi, c’est le vent qui fait bouger les feuilles.
– N’importe quoi toi-même ! Papa, dis-lui qu’il y a un oiseau.
Leur père s’accroupit :
– Ça vous dirait d’aller passer l’hiver dans un pays où la nuit est plus longue que le jour ?
– En Albanie ? demande la petite fille.
– N’importe quoi, s’écrie son frère, l’Albanie c’est le pays des albatros.
– L’Albanie c’est pas le pays des Albinos ?
Le père rit :
– non mes chéris.
Quatre prunelles rouges le fixent. Ni pleurs, ni douleur dans leurs yeux, seulement de la curiosité.
– On pourra sortir le jour ?
– Oui.
– On pourra aller à l’école ?
– On s’organisera.
– On pourra avoir un chien ?
Il hésite, on verra. Elle applaudit :
– On l’appellera Croc-blanc !
– N’importe quoi, Croc-blanc est un loup !
– Un chien !
– Un loup !
– Un chien-loup, tranche le père.
– On aura un chien-loup ! s’enthousiasment les enfants.
Ils prennent la main de leur père et l’entraînent dans une ronde tout autour de la pièce en chantant à tue-tête « vive l’hiver, vive l’hiver, vive l’Albanhiver  ! Sans lunettes, avec Croc-Blanc j’irai dans la clairière. »

Il n’y a plus à tergiverser, se dit le père, en route pour l’Islande.

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