Il est 8h54 ce matin là quand Le RER A entre en gare du Vesinet-Le Pecq. Cela ne fait que deux minutes qu’il aurait dû être parti. Elle monte dans le wagon, la pas est hésitant et parfois elle n’évalue pas bien la distance. Les voyageurs bousculés soufflent, s’apprêtent à râler et à s’insurger. Mais leur colère s’écrase contre ses verres de lunette, tellement épais qu’elle ne peut rien voir, ou si mal. On s’écarte, on laisse la place sauf… Sauf quand on est assis, on regarde ailleurs. Tous ont une bonne raison de s’accrocher à leur siège. L’homme à l’attaché-case revendique, in-peto, le droit à la non-galanterie en ces temps d’égalitarisme à outrance ; L’étudiant est encore fatigué de n’être pas bien réveillé ; Quelque soit l’âge il y aura toujours un plus jeune que soi ; Et la dame, fan de lecture, se persuade que son livre est bien trop passionnant et bien trop gros, pour pouvoir être lu debout dans de bonnes conditions. Chacun s’accomode et fait semblant de ne pas remarquer le petit panneau indiquant que ces places sont prioritaires. Et les autres, ceux qui sont debout, les dévaluent d’un coup d’oeil : Ah si cela avait été eux qui avaient été assis…
Le train démarre. Il est direct jusque Rueil-Malmaison, soit environ quatre minutes sans l’à-coup des freins. Normalement. Et même si ce n’est pas facile de garder son équilibre quand on n’a que peu de repères pour anticiper les mouvements, elle lâche la barre, ouvre son sac et fouille dedans. Les passagers sont revenus à la routine du trajet, hérons ensommeillés à la tête brinquebalante, animaux de somme à l’échine courbée vers l’écran du smartphone. Et tout d’un coup elle brandit une carte, réclame. Les attentions sont happées : Que se passe-t’il ? Quelles conséquences ? Quel retard ? Quelques dixièmes de secondes pour craindre puis se rassurer. La voyageuse la plus proche de l’infirme cède sa place. Les passagers qui ont conservé leur siège lâchent un infime soupir de soulagement. La malvoyante fronce les sourcils. Elle n’aime pas cette sensation de déranger. Elle se sent dépitée, dépitée d’être gênée.
C’est rageant de voir autant d’individualisme alors qu’il serait tellement facile de vivre ensemble ou partager davantage.
Une situation quotidienne pour ces personnes, mais les sentiments ambiants sont joliment décrits.