Il entre dans la rame du RER, mains dans les poches, capuche relevée. Il marque un temps, jambes légèrement écartées, lève les yeux, des yeux vitreux, à la dérive, ayant pour ligne de flottaison le trop-plein d’alcool ingéré. La majorité des voyageurs feint de l’ignorer, tout en surveillant sa progression. Par chance, ses pas ne le portent pas plus loin que le premier strapontin, où il s’affaisse. Chacun retourne à sa somnolence nocturne, son ennui. L’ennui, dans les transports en commun, est toujours préférable à n’importe quelle péripétie. La rame démarre, berce l’intrus, de gauche à droite, avant arrière, toupie sans boussole, qui, bientôt, tombe au sol. Il ne bouge pas, sommeil alcoolique ou coma éthylique ? Les autres passagers se regardent, hésitent :
– Il faut déclencher le frein d’arrêt d’urgence !
– Pas question, il est tard, je veux rentrer chez moi.
– On ne peut quand même pas le laisser comme ça.
Le train entre en gare, les portes se débloquent.
– Je les connais ces ivrognes, il suffit de le pousser sur le quai.
– Vous n’êtes pas sérieux ?
– Allô, ici le conducteur, vous avez actionné le frein d’urgence. Pour quel motif ?
– Quelqu’un vient de faire un malaise.
Il gît, inconscient du débat dont il est le sujet. Il y a ceux qui ne cachent pas leur mécontentement, voire leur ulcération ; Ceux qui sont bien ennuyés de ce stationnement prolongé, mais fatalistes quant à sa nécessité ; Ceux qui approuvent, bruyamment, le triomphe du civisme sur l’égoïsme, quoique certains, intérieurement… Un couple d’adolescents est bien content, quelques minutes gagnées pour des baisers passionnés. Au fond du wagon, un fêtard hagard colle sa tête à la fenêtre, les paupières lourdes, s’endort, s’en fout. Le chauffeur arrive. Il évalue la situation, dans trois arrêts il aura fini son service, et puis, il reste encore un dernier train dans quarante minutes. Il secoue l’importun. « Monsieur, vous m’entendez ? » Un grognement. « Comment vous sentez-vous ? » Un hoquet nauséabond. «C’est qu’il vomirait dans mon train ce con ! ». Le conducteur demande de l’aide pour l’évacuer. Extirpé sans ménagement, l’homme proteste pâteusement « ça va aller, je veux rester. » « C’est à quai que tu vas rester. » Ils l’abandonnent sur un siège, chiffe molle, ratatinée, épaules voûtées. En entendant l’alarme signalant la fermeture des portes, il esquisse un geste, vaseuse velléité de se lever, mais, vaincu, il retourne tanguer dans ses vapes enivrées.
Lorsqu’il émergera, il fera jour, il fera frais, il fera soif.
dure réalité mais il faut assumer; Il pourra cuver tranquillement
Bien triste la dégringolade.