O-ver-boo-kée. Ce n’est pas facile de courir partout quand on prône le slow-down ; pas facile de prendre du temps pour soi, se ressourcer, quand il y a tellement de cause à défendre : Contre le réchauffement climatique, contre les mangeurs de viande, contre les pollueurs en 4×4, contre, contre, contre… Mais ce qui lui manque réellement, c’est quelqu’un tout contre. Pourtant, elle s’en donne du mal : masques concoctés à base de concombre, crème nourrissante à la bave d’escargot, shampoing aux extraits de cactus. Elle a même réussi à dénicher une petite boutique de vêtements tenue par les créateurs en personne. C’est local, c’est bio, c’est cher.
Chez elle, tout est naturel : la cellulite incrustée, les sourcils non épilés, mais quand même redessinés, les cheveux non colorés, sauf pour masquer les cheveux blancs.
Elle passe des heures discuter entre amis sur la déchéance du monde, franchement où va-t-on ? Ça ne peut pas continuer comme ça ! Ils sont tous d’accord entre eux, les autres ne comprennent rien, par cynisme ou ignorance. C’est vrai quoi, comment peut-on encore avaler de la viande ? Tu as vu le reportage à la télé hier ? C’était horrible. Je me suis obligée à regarder car il faut s’informer ; j’ai vraiment crû vomir. Les gens sont inconscients. Oui, moi aussi je vais à la manif’ samedi. Je ne resterai pas longtemps car je me suis inscrite à un atelier de fabrication de meuble en carton. 300€ ce n’est pas donné, mais faut vivre raccord avec ses principes.
Elle fait ses courses dans des supérettes bio, n’a pas de voiture et prend le train pour ses week-ends à la campagne. C’est tellement charmant une chambre d’hôte. Et puis ces petits-déjeuners avec de la confiture maison et des gâteaux juste sortis du four, c’est tellement authentique. La dernière fois, dans le Lubéron, la propriétaire lui avait même montré comment infuser des feuilles de menthe et de verveine fraîches. C’est tellement bucolique. Ses plants de tomate-cerise et de basilic, accrochés à leur jardinière citadine, sont beaucoup moins goûteux. Satanée pollution. Elle n’imagine pourtant pas quitter Paris, cette ville tellement bouillonnante. Il ne se passe pas une semaine sans qu’elle aille à une expo, d’autant qu’avec sa carte de prof, elle bénéficie du tarif réduit, voire de la gratuité des entrées. Elle ne conçoit pas que l’on puisse rester scotché à sa télé. D’ailleurs, elle n’en a pas. Les reportages d’Arte, c’est uniquement en podcast. Elle en propose parfois à ses élèves, pour essayer de leur ouvrir l’esprit. Mais quand on voit certains parents, ce n’est vraiment pas évident. Sauf le père de Thomas, il est tellement craquant. Elle a essayé de le localiser sur tinder, sans succès. Elle aimerait bien rencontrer le grand amour, ou tout au moins l’amour. Elle n’est pas exigeante : Pas besoin qu’il soit beau, pourvu qu’il ne soit ni laid, ni petit ; pas besoin qu’il soit riche, sauf de culture, car elle ne s’imagine pas avec quelqu’un désertant les expos ou les conférences-débats. Ça doit pouvoir se trouver dans Paris, car hors de question d’aller au-delà du périph’. Ah non, à ça, elle n’est pas prête. Et puis elle voudrait des enfants, enfin au moins un, car les logements parisiens n’en permettent pas beaucoup plus. Elle en fera un bon citoyen, lui inculquera des principes essentiels comme le respect de la femme. Ah oui, elle veut un garçon car il y a tellement de chose à faire auprès des hommes pour pousser la cause féminine. Sa sœur a deux filles. Elle s’est toujours refusée à leur offrir des poupées ; Elle préfère les emmener voir des expos, puis en discuter autour d’un chocolat chaud. Elle adore ses nièces, elles sont tellement éveillées.
Parfois elle se dit qu’elle n’a peut-être pas tant de mérite, car elle vient d’une famille de prof, ouverte à la culture et à la discussion, et qu’il lui a donc été plus facile de se forger les bonnes opinions. Alors, pourquoi est-elle encore célibataire ? Seule avec son chat ? Sa dernière histoire sérieuse remonte à deux ans. Ahmed. Parfait sauf qu’il exigeait de la viande tous les jours. Chacun arc-bouté sur ses convictions, la relation s’était délitée. Elle se dit parfois que, si elle pouvait séduire un prof, les choses en seraient grandement facilitées.
En femme moderne, elle se doit de pouvoir tout avoir, même si elle clame son droit à vouloir s’en passer.