Le journal d’une citadine confinée

17 mars 2020, Jour 1 du confinement

Ça y est c’est officiel, depuis midi nous sommes tous confinés.
Être confiné, c’est ne plus aller travailler. Personnellement je ne m’en plaindrai pas


Être confiné, c’est ne plus faire les magasins. Plus de tentation et une nouvelle occupation, l’exploration de mes placards. Je vais peut-être découvrir des trésors inutilisés, plus certainement des trucs inutilisables.

18 mars 2020, Jour 2 du confinement


Cher journal,
Être confiné, c’est réinventer ses journées. Alors, aujourd’hui, j’ai décidé d’établir une liste d’activités.
Lire tous les livres, regarder tous les films d’une liste toujours plus longue à chaque rentrée littéraire ou festival du 7ème art.
Me lancer dans le puzzle acheté pour l’anniversaire de ma petite nièce. La pauvre biquette soufflera ses 7 bougies toute seule cette année, entourée de ses parents, son frère, son chien, les voisins dans leur jardin et les grands-parents en visio.
Finir le plaid que j’avais commencé à tricoter l’hiver dernier, ainsi que la peinture des toilettes.
Compter mes doigts de pied. Au troisième doigt, j’ai noté une tâche suspecte, une grosseur naissante. J’ai immédiatement cessé.
Faire du step. N’ayant ni escalier ni conjoint qui se mettrait à quatre pattes pour me servir de marche, j’ai étudié d’autres pistes. J’ai bourré un sac sous-vide d’une couette et de manteaux d’hiver, aspiré l’air, et obtenu un bloc bien compact. Au premier mouvement je me suis tordue la cheville. Résultat, je me suis bourrée de canapé et vautrée dans la glace, ou l’inverse.

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21 mars 2020, Jour 5 du confinement
Cher journal,
Aujourd’hui c’est le week-end. Comment ne rien faire différemment de la semaine écoulée ? Et si je jardinais ?
Après avoir enlevé les plantes mortes des jardinières de mon balcon, j’ai vérifié ce qu’il me restait en terreau, engrais et sachets de graines. Rien. Fin de l’atelier jardinage. Je me suis bien plantée.

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23 mars 2020, Jour 7 du confinement
Cher journal,
Le lundi au soleil nous est toujours interdit. S’il ne faut pas aller bosser, il faut « télétravailler ». Après une semaine, je suis pratiquement à jour de mes mails, y compris ceux que j’avais consciencieusement délaissés, voire archivés en espérant ne jamais les traiter. Mon chef m’invite à me plonger dans les dossiers de fonds. Pour faire durer l’occupation, je m’autorise une certaine procrastination.

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26 mars 2020, Jour 10 du confinement
Cher journal,
Mon frigo est vide. Après 10 jours, j’ai rempli ma première autorisation de déplacement dérogatoire pour des courses de première nécessité. J’ai mis la dose de déodorant de peur de sentir le renfermé.
Arrivée en magasin, je suis restée perplexe devant les rayons vides. Il n’y a plus de farine, pas celle pour faire le pain, mais celle pour les pâtisseries. Les marins, qui embarquèrent avec Christophe Colomb, avaient-ils attrapé le scorbut à cause d’une carence en gâteaux ? Le PQ, produit qui s’est démocratisé dans les années 60, est en rupture de stock. Nos aïeux se retenaient-ils, au point de mourir d’occlusion intestinale, par manque de rouleaux de papier molletonné et parfumé ? Les pâtes, qui sont une denrée non périssable, seraient également de première nécessité. S’est-on jamais vu prescrire des pâtes pour lutter contre la grippe ou tout autre pathologie ? Sauf à considérer le sport de haut niveau comme une maladie…Au rayon fruits et légumes, il y a avait une grande banderole « soutenez l’agriculture française ». Donc, les pommes et les carottes ne sont pas des produits de première nécessité, mais des achats solidaires. Et là, je me pose la question : qui mourra de faim en premier  ? Le citadin, billets à la main, devant les rayons vides des magasins, ou le paysan, sans argent, dans son champ, avec ses poules et ses lapins ?

Cher journal, ils sont devenus fous.

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30 mars 2020, Jour 14 du confinement
Cher journal,
Trahie par ma connexion internet, je me suis retrouvée seule avec un nouveau compagnon, l’ami l’ennui. Il squatte et mange comme quatre. Ça me reste sur l’estomac. Ce matin il était là, dans mes beaux draps, et pas moyen de l’extirper du lit. S’il pleut, ça le déprime. S’il fait beau, ça le déprime. Par tous les temps, il me déprime.

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1er avril 2020, Jour 16 du confinement
Cher journal,
C’est la guerre. Comme tous les vaillants combattants de ce pays, je sors tous les soirs à 20h applaudir, en buvant l’apéro quand il fait beau. Devant tant de courage et d’abnégation, je crains que nous nous soyons exposés à une invasion extra-terrestre de planctons écervelés.

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5 avril 2020, Jour 20 du confinement
Cher journal,
Je chante en boucle cette rengaine qui m’horripile :
Un jour de confin’ment, ça use, ça use ; Un jour de confin’ment, ça use mon séant.
Dix jours de confin’ment, je ruse, je ruse ; Dix jours de confin’ment, je ruse pour tuer l’temps.
Vingt jours de confin’ment, j’écluse, j’écluse ; Vingt jours de confin’ment, j’écluse mon vin blanc.

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7 avril 2020, Jour 22 du confinement
Cher journal,
Il m’arrive un truc incroyable. Comme tu le sais, je pratique l’alcoolisme de guerre sur mon balcon. A force de sortir tous les soirs, j’ai lié connaissance avec mon voisin. On a d’abord échangé un sourire, un vague hochement de tête, un timide bonsoir. Au bout de deux jours, on a entamé un bout de conversation, des banalités. Puis on a parlé de nos proches, ses parents sont en bonne santé et il est célibataire, de nos activités de confinement, il tourne en rond, de nos projets avortés ou encore d’actualité. Je dois avouer qu’il n’y a plus grand chose à raconter sur les seconds.

Hier on était attablé, chacun sur son côté de balcon, quand Jonathan, c’est son petit nom, lance : et si on se faisait une soirée italienne ? J’ai répondu une flopée d’onomatopées à l’idée de cette perspective de rendez-vous. Je n’en reviens pas, j’ai un dîner ! En plein confinement !
J’ai moins de 24h pour me rendre présentable.

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8 avril 2020, Jour 23 du confinement
Cher journal,
La soirée fut délicieuse. J’étais épilée, coiffée, maquillée, apprêtée comme jamais depuis plus de trois semaines. On s’était mis d’accord sur le menu, une « pâtiflette ». C’est comme une tartiflette, mais avec des pâtes. Spaghiflette, macaroniflette, tout fonctionne. Il avait opté pour des nouilles, moi pour des pennes.
Cher journal, Jonathan avait accroché une fleur sur la grille de séparation de nos balcons. N’est-ce pas adorablement romantique ? J’en suis encore toute émue. Dire qu’avant le confinement, je serais certainement déjà passée dans son lit et à autre chose.

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11 avril 2020, Jour 26 du confinement
Cher journal,
Je devais partir en vacances aujourd’hui. C’est vraiment trop injuste. Mais j’ai plus d’un tour dans mon sac de voyage. Je suis partie en home-trip. Depuis ma porte d’entrée, je suis passée par la salle de bain, salle humide et aveugle qui m’a donné envie de chaleur et de soleil. J’ai bifurqué vers la pièce principale, où j’avais regroupé toutes mes chaises, style embouteillage de salon car il n’y a pas de route des vacances sans bouchon. J’ai dû m’arrêter pour une pause-pipi. Dans la cuisine j’ai ouvert la poubelle. Ça puait ! «C’est la campagne ! » me suis-je écriée gaiement. Bon, ben voilà, j’ai fait le tour de mes 25m2. J’ai rangé mes chaises, ma valise et me suis consolée avec un verre de rosé.

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15 avril 2020, Jour 30, un mois de confinement
Cher journal,
Aujourd’hui j’ai décidé de ne rien faire, pour de vrai, comme un paresseux au taquet. J’ai regardé des tutos sur le web sur le lâcher-prise, comment laisser passer le temps en pleine conscience, ne penser à rien et trouver ça bien. J’ai échoué. J’ai rallumé la télé.

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18 avril 2020, Jour 33 du confinement
Cher journal,
L’ami l’ennui me colle comme un chewing-gum.
L’ami l’ennui me saoule comme une bouteille de rhum.
L’ami l’ennui est plus puant qu’un géranium.

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2I avril 2020, Jour 36 du confinement
Cher journal,
T’ai-je dit que Jonathan a une voix de crooner, une voix qui transpire le sex-appeal ? Je nous imagine, pour notre première sortie, mains humides dans gants de plastique, les yeux débordant des masques. Cher journal, un amour de confinement a-t-il de l’avenir ?

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  • 25 avril 2020, Jour 40 du confinement
    Cher journal,
    Je lis, je lis beaucoup, mais tout ce que je lis me parle de confinement. Je pense souffrir d’un trouble de la lecture, car voici ce que j’ai découvert en feuilletant mon ouvrage des Fables de la Fontaine :
    Le Citoyen, las d’être confiné
    Tenait dans sa main un bagage
    Maître Virus, par l’idée attiré
    Lui tint à peu près ce langage
    Et bonjour, Monsieur Citoyen
    Vous êtes en bonne santé ! Que vous vous portez bien !
    Sans mentir, si votre voyage
    Se rapporte à votre entourage
    Vous êtes le Phénix de ceux que l’on côtoie
    À ces mots Citoyen ne se sent pas de joie,
    Et quitte sa maison où il est à l’étroit
    Il ouvre grand la porte, d’une toux est la proie
    Le Virus le saisit, et dit : Mon bon Monsieur,
    Apprenez que maladie
    Devient épidémie grâce aux fous sur la route
    Cette leçon vaut bien une pandémie sans doute
    Le Citoyen honteux, confus
    Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Cher journal, serais-je atteinte du syndrome de l’obsessionnite confinementale aiguë ? Je n’ose pas consulter le site de tamalou.fr

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27 avril 2020, Jour 42 du confinement
Cher journal,
ça y est, c’est annoncé, dans 15 jours nous sommes déconfinés !
Je me vois déjà aller voir les amis, la famille. Je rêverais d’avoir des enfants à emmener à l’école pour ne pas aller les chercher : « Allô ? Oui, je suis la maman d’Hugo, ah non, non, j’ai fait votre boulot pendant 2 mois, à votre tour de me remplacer. » Je prendrai RDV chez le coiffeur ; C’est que je m’en suis fait des cheveux, tous les matins, en voyant ma tête ! Je partirai en week-end, en semaine, en quinzaine, mais surtout pas en quatorzaine. J’irai me rouler sur les pelouses des parcs et jardins, et accessoirement dans les cacas de chien.

Je retrouverai ma routine : Aller au boulot, râler sur le trajet ; Aller en réunion, râler que c’est trop long : Aller au restaurant d’entreprise, râler que c’est pas bon. Rentrer et décompter les jours jusqu’aux prochaines vacances.

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7 mai 2020, Jour 52 du confinement
Cher journal,
Maintenant que le déconfinement se profile, je panique : Est-ce que ce sera mieux avant, quand on pouvait sortir où on voulait, quant on voulait, à la merci des soldes, des grèves et des pickpockets, pauvre profession touchée de plein fouet par la crise ? Vais-je regretter ma routine de confinée ? Vais-je participer à l’émergence d’un monde meilleur ? Des milliards pour la santé, et pas seulement des applaudissements. Le maintien des solidarités de proximité, même quand on doit retourner bosser. Consommer local, mais comment me passer des kiwis et ananas, indispensables à mon régime ? Je veux bien consommer moins, mais ce qui est déjà produit serait perdu, non ? Et on nous dit qu’acheter permettra de relancer l’économie. Et si j’achète sans consommer c’est gaspiller. Mon cerveau surchauffe plus que cette pauvre planète.
Quant au boulot, chez nous c’est chacun chez soi. A bas les open-spaces, vive le télétravail ! A bas radio-moquette, vive le chat-cancan ! A bas les séminaires, vive les webconférences ! A bas la « réunionnite », vive l’efficacité… J’entends d’ici mon chef déglutir.

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11 mai 2020, D-Day
Cher journal,
Ça y est c’est le jour J, le D-Day, le jour du Déconfinement. C’est la quille, la libération, concert de klaxon et java dans les rues. J’arrête les apéro, les gâteaux, les abdos dans mon studio. Je vais être de tous les attroupements, manifs et commémorations. Je décrète fête nationale la fête des voisins. Je range le puzzle, dont je venais juste de finir de trier les couleurs et trouver les 4 coins parmi les 35 pièces. Je remise le jogging-claquette et revisite ma garde-robe : « Miroir mon beau miroir suis-je jolie ? » « Amie, ma belle amie, ces rondeurs de confinement t’enveloppent à ravir. » Cher journal, si tu ne veux pas que je te balance dans cet affreux miroir, pas un mot !
Je vais sortir faire le plein d’essence, si ma voiture démarre. Je vais faire un collier de pâtes avec tous les fonds de paquets, bonne fête maman ! Je vais courir les magasins, car j’en ai marre de n’avoir besoin de rien. Je vais aller là-bas, ailleurs, masquée, cagoulée, en scaphandrier s’il le faut, pour le seul plaisir de pouvoir rentrer chez moi.
Mais avant tout, je vais aller sonner chez Jonathan…

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