Déclassé

J’étais un chien sauvage, de la race qui traque, flair affûté, accule. J’étais un chien de classe, qui tue pour se nourrir, les crocs sûrs, acérés. Je m’abreuvais de sang, encore chaud, palpitant. Puis une fois repu, je laissais les viscères aux vautours, aux insectes. Mes pattes fines et musclées, mon corps fin, élancé, portaient une tête altière, qui pourtant s’est courbée. J’ai été capturé, dominé, dressé. Ils m’ont encagé, enchaîné, entraîné à poursuivre l’animal de la courre. Je ne peux plus me laisser tenter, au gré de ma fortune, par un chevreuil ou un sanglier. Je dois chercher ce que les habillés ont choisi de cibler. Ces bipèdes asservissent nombre de quadrupèdes, pour pallier leurs faiblesses, assouvir leurs caprices; Ils montent des chevaux qui courent après les chiens, ils éperonnent les uns, hurlent des ordres aux autres.
Je me lance sans passion en service commandé. J’hume l’air qui transpire une envie de survivre. Je m’élance, fer de lance d’une meute aux abois. J’aboie une menace, m’annonce féroce, tenace. La bête s’enfuit, rapide, change de direction. Je sens monter sa peur et mon excitation. J’accélère, me rapproche, et dès que je la vois, je m’arrête, je m’apprête à fondre sur ma proie. Las, le cor sonne, j’abandonne avant qu’on me rudoie. On me flatte mais j’ai mal. Mon instinct se rebelle, je grogne, mes babines se rétractent, on me tape le museau. On ne me laisse pas achever le gibier. Tenu en laisse, assis au pied, j’assiste à la curée. Des armes en guise de dents, ils tuent et ils dépècent, ils emmènent la bête qu’ils mangeront plus tard. Lorsqu’ils me nourriront, la viande sera froide, elle n’aura plus le goût de la vie sur le vif. Je déglutis, dégoûté de moi-même. Qu’ai-je laissé faire de moi ? J’étais un prédateur seul seigneur de sa faim, ils m’ont rabaissé à charognard de foire.

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