(Disponible en audiotexte dans la rubrique « à écouter »)
Aujourd’hui Quentin fête ses sept ans. Sept ans c’est important, il est grand maintenant. Sa maman a accepté d’organiser un goûter d’anniversaire. Il a eu le droit d’inviter cinq copains. Cinq ! Jamais il n’avait pu en inviter autant. Sa maman lui a également promis un gros gâteau à la crème, des ballons et une surprise.
Quentin saute de son lit et dévale l’escalier.
– Maman ! Aujourd’hui c’est mon anniversaire !
Il trouve sa mère au salon, rouge et essoufflée, s’armant de courage pour attaquer le trente-et-unième ballon de baudruche. Encore neuf. Puis il faudra les accrocher à la porte d’entrée, dans le jardin, dans le salon… Hum, dans le salon ce n’est peut-être pas une bonne idée. En tous cas, il faudra sauver les bibelots les plus fragiles, protéger le canapé en cuir beige, mettre une nappe sur la table basse en verre… Le gâteau devrait être livré vers 11h… A-priori rien ne manque, à part deux ou trois babioles en rupture de stock quand elle avait fait les courses. Gérer 6 bambins pendant 3h ne devrait pas être si terrible.
CLAC ! Quentin vient d’exploser un ballon.
– Quentin ! Fais attention s’il te plaît. Viens me faire un bisou, trésor.
Le garçonnet s’avance et pose un bisou distrait sur la joue de sa mère.
– Et les ballons bleus, ils sont où les ballons bleus ?
– Je suis désolée chéri, ils n’en avaient plus au magasin.
Quentin regarde sa mère avec une moue boudeuse.
– Sois mignon trésor, n’oublie pas qu’il y aura une belle surprise.
14h, Quentin et sa mère sont impatients ; L’un que la fête commence, l’autre qu’elle finisse.
Les parents, après avoir félicité Quentin et s’être assurés que le cadeau était bien offert, filent, pressés de profiter de leur après-midi de liberté. Le petit garçon dispose soigneusement les paquets sur la table du salon, tel un roi recevant le tribut des seigneurs alentours. Les jeux commencent. La pièce s’emplit d’un crescendo de rires, de cris et de courses. Julien trébuche et tombe sur les fesses. Tom se cogne contre la sellette, faisant tanguer dangereusement la boîte à musique qui semblait pourtant hors de portée des enfants. Quelques notes plaintives s’apaisent lorsque la boîte à musique retrouve sa stabilité. Un ballon vit son dernier vol avant de toucher le sol, gisant la peau fripée et bientôt piétiné. Avant d’être totalement débordée, la maman de Quentin propose de souffler les bougies et de manger le gâteau d’anniversaire. C’est alors qu’ils entendent, venant de l’extérieur : « J’ai un gros nez rouge, deux traits sous les yeux, un chapeau qui bouge, un air malicieux… » Ils se précipitent dans le jardin et découvrent un clown : « … deux grandes chaussures, un grand pantalon, et quand je me gratte, je saute au plafond ! ». Les enfants, ravis, tapent dans leurs mains. La mère de Quentin se penche vers son fils et lui murmure :
– Joyeux anniversaire chéri ! J’espère que tu aimes ta surprise.
– Oui, oui, répond-il, sans lâcher le clown du regard.
– Bonjour les enfants !
– BONJOUR ! Répondent-ils tous en chœur.
– Comment allez-vous ?
– BIEN !
– Est-ce que vous vous amusez ?
– OUI !
– Quentin, demande le clown, toi, le héros de la fête, préfères-tu ouvrir tes cadeaux ou faire un tour de magie avec moi ?
– LES CADEAUX ! Hurle le petit garçon. Maman, apporte-les moi !
Elle obtempère, trop heureuse que tout ce petit monde soit dehors avant qu’il n’y ait eu de la casse, ou du gâteau émietté un peu partout. Pourquoi n’a-telle pas tout organisé dans le jardin d’ailleurs ? Il faudra s’en souvenir pour la prochaine fois… S’il y en a une… En apportant les paquets et en voyant son fils aussi heureux, elle se dit que oui, ça vaut vraiment le coup. Il est à croquer avec ses yeux qui brillent, son sourire à trou depuis que la petite souris est venue chercher sa première dent de lait.
Quentin déchire joyeusement les emballages pour découvrir une voiture, un t-shirt Buzz l’éclair, un ballon, une serviette de plage Spider-man. Il a gardé pour la fin un petit paquet rectangulaire, espérant que c’est… Il l’ouvre et découvre, dans un étui, un porte-clé avec une lampe de poche.
– C’est trop nul ! Je croyais que c’était des cartes Yu-Gi-Oh.
– Oh mon chéri, ce n’est vraiment pas gentil de dire ça, le reprend doucement sa mère.
Quentin hausse les épaules et se tourne vers le clown.
– C’est quoi ton tour de magie ?
– Je peux faire disparaître ton nouveau porte-clé.
– Super !
Le clown lui tend son chapeau et Quentin y jette l’objet. Le clown remet le chapeau.
– Attention les enfants, vous comptez jusque trois et vous ouvrez grand vos oreilles.
– 1, 2, 3 !
Un glurp sonore retentit.
– Oh, le chapeau a mangé le porte-clé de Quentin ! S’exclame Capucine.
– Rends-moi mon cadeau ! Rugit Quentin.
Il s’élance sur le clown, agrippe une de ses bretelles et la fait claquer brutalement. Une nuée de papillons s’envolent. Oh ! Les enfants, émerveillés, s’éparpillent en riant pour courir après les papillons. Lorsqu’ils les quittent des yeux, chacun se trouve devant la porte de sa maison.
Quentin a réussi à attraper un papillon aux couleurs vives. Il le tient par une aile, entre son pouce et son index.
– Lâche-le, dit le clown, tu lui fais mal.
– Non.
– Quentin, mon chéri, enchérit sa mère, sois gentil et libère le papillon.
– Non, non et non.
L’enfant s’entête. Le papillon décline, ses couleurs pâlissent. Les yeux du clown deviennent ternes, son nez gris.
– T’es pas un vrai clown, t’es trop moche.
– Quentin ! Trésor, supplie sa mère.
– Tes vraiment trop moche. T’es moche, t’es nul. T’es mo… tente-t’il de répéter une fois de trop.
Les vilains mots restent bloqués dans sa bouche, se transforment en bulles de savon qui éclatent en gouttelettes, glissent sur sa langue et sortent de ses lèvres en un filet d’écume.
– Qu’avez-vous fait à mon fils ? S’effare la mère.
– Mais rien Madame, c’est vous qui l’éduquez.
Ça sent le vécu ! Si ce n’est pas le cas, c’est bien imaginé. Je comprends la mère…