On ne se méfie pas de l’œil torve du mouton. Ce dernier semble paisible, à regarder à longueur de journée la maison de l’autre côté du barbelé. Un quidam s’approche, encore, encore un peu plus. Un clignement d’œil et le curieux disparaît. Lorsque l’animal relève ses paupières, un bruissement fait onduler le lierre qui maintient les ruines de la maison. Un volet claque.
Il ne comprend pas comment il se retrouve dans cette cahute sombre et suintant de morosité. Ça lui colle à la peau, comme un costume trop étriqué qui se resserre à chaque expiration. Il se lève et arpente avec une paresse pénible chaque pièce de la maison. Chaque salle est inutilement meublée : De l’électroménager neuf et rutilant dans la cuisine, un salon surchargé de cadres et de bibelots, un dressing faussement agrandi par un miroir en pied. Il ne reconnaît pas ce masque émacié qui se reflète. Lui quand il sera vieux ? C’est plutôt lui délesté de toute envie. Il se recroqueville, ferme les yeux, égrène les joies qu’il a connues, les abandonne dans l’oubli. Ses souvenirs dansent et s’éloignent, deviennent une ombre qui s’amenuise dans un futur décomposé. Il est alors prêt. Il est attiré vers l’extérieur, où un brouillard anesthésiant l’enveloppe. Le pas se fait automatique, la pensée mécanique. Derrière lui, au fond d’une oubliette cadenassée, le libre arbitre se morfond dans l’écho d’un ricanement. A bien écouter, on entend plutôt un bêlement.