J’entends une voix. J’entends une voix puissante, hypnotisante. J’entends des acclamations. Je vois un homme faisant face à une foule compacte. Il parle, ils acclament. Je m’approche et ressens les vibrations de l’auditoire ; Me voilà happé dans une étrange transe. Sans même chercher à écouter, je me laisse emporter. Je lève les bras avec enthousiasme, je me récrie de dégoût, tape des pieds avec fureur. Je n’ai toujours pas saisi un mot que je suis épuisé de tant d’émotion, galvanisé par l’envie de m’en remettre au tribun qui discoure sur l’estrade, de le suivre. Je ne suis plus qu’une caisse de résonance. Je voudrais pourtant être en capacité de comprendre les mots, les phrases, leur sens. Je voudrais pouvoir me faire un avis. Je voudrais déconnecter mon corps de cette foule, mon esprit de cette voix. Mais elle me dit de ne pas penser, qu’elle est là pour moi. Elle m’insuffle force et obéissance. La voix est là, dans ma tête. La voix est là, dans tous ces gens enfiévrés, en sueur, expulsés d’eux-même. La voix les lient les uns aux autres. Ils font un avec le voisin, avec la voix. Je me fonds dans cette masse, acquise à la voix et à celui qui la porte. La voix hurle « Je suis vous, je suis chacun d’entre vous, je suis vous tous réunis ! » La foule reprend « je suis vous ». Je répète moi aussi «je suis vous, je suis… Je… » Je regarde autour de moi. Suis-je cet homme qui acquiesce avec vigueur ? Suis-je cette femme qui pleure son rimmel bon marché ? Ou cet homme en costume qui vitupère et grimace comme les autres ? Ou encore cette petite fille éberluée ? Je reste sans voix. J’ai la nausée.
Je tente de sortir de la foule, mais il est impossible de reculer. La foule est toute entière tendue vers l’estrade, aspirée par le charisme de cet homme qui tour à tour cajole, bouscule. Sans contact physique, il touche et fait mouche. Je dois sortir, je vais vomir. On me regarde de biais, m’intimant de me contenir. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Je tourne le dos à l’orateur, essaie de me frayer un passage. Ça gronde autour de moi, je manque d’air. L’étau se resserre. Je joue des coudes. Je ne peux plus bouger. Le bruit atteint son paroxysme puis le silence se fait. La voix s’est tue. La foule desserre son étreinte, se disperse. Je tombe à genoux, tentant de retrouver ma respiration et mes esprits.
– Monsieur, vous allez bien ?
Un visage bienveillant me scrute. Je reconnais vaguement l’homme au costume.