C’est une cabane située au centre du monde, une cabane ouverte au monde, avec ses fenêtres en miroir et ses portes ajourées. Ses vastes pièces sont baignées de lumière. On y déambule sans se soucier des courants d’air. Un soir, pourtant, un courant majeur claque les portes. La maison devient hermétique. La construction ne vibre plus d’aucun écho, devient musée témoignage du passé, un patrimoine figé plus encombrant qu’inspirant.
Son emprise sur l’ère du temps brisée, la cabane glisse au bord du monde, glisse, glisse…
La cabane bascule au fonds du gouffre. Elle rejoint les temples désertés, les statues déboulonnées, les cadres sans vie, les trônes démantelés, les livres aux pages arrachées, les utilités sans objet. On vient pourtant régulièrement de là-haut pour chiner. On se sert sans vergogne, on assemble des pièces disparates, on décape, on remet au goût d’un jour. On arrache à la cabane une fenêtre-miroir, faisant grincer ses gonds. On n’y prête pas attention. La fenêtre-miroir est dépoussiérée, retaillée, revernie ; On en fait l’emblème d’un renouveau assumé. Le miroir devient de glace, reflète sans grâce les tendances, capte et s’agace des confidences, « miroir, mon beau miroir, qu’importe la vérité pourvu que j’ai l’espoir. » Le miroir finit par se brouiller.
En bas la cabane borgne se désole, pleure son intégrité.
Une autre expédition venue de la surface s’approche, la cabane croit revenu le temps de l’influence. Elle redresse ses murs, sure de son faîte. Mais seuls ses miroirs intéressent. Chacun veut son miroir, un morceau, un éclat. La cabane est démantelée. Tout ce qui gît au fonds du gouffre se brique, se polit, cherche à réfléchir, peu ou prou, pour remonter à la surface. On emporte un nombre impressionnant de matériau. La-haut on se mire, on s’admire, le reflet vaut réalité.
Un jour, un miroir de toc et sans tain se fissure. On découvre les ersatz, les glaces déformantes, l’aveuglement. On s’offusque avec dédain, on méprise avec entrain. On accuse les miroirs. On les décroche, on les détruit, on enfouit loin ces débris qui n’apportent que déboires. Miroirs, copies, versions tronquées sont entassées aux abords du monde. Étrangement, ils deviennent un lieu en trompe-l’œil, on l’on vient y déposer une promesses déçue, un dû perdu avant même d’avoir été reçu. Les désillusions se déversent, les rancœurs s’amoncellent, les frustrations prospèrent. Sur cet amas pourtant stérile, l’intolérance et la haine fleurissent. Désormais, à l’orée du monde, on cultive le jardin de l’immonde.