Fables

L’Elfe Vannier

Il était une fois un elfe aux doigts si fins qu’ils s’entremêlaient avec les tiges qu’il tressait. Il passait ses journées à tresser, avec ses mains, avec ses pieds, avec passion. Il aurait pu être le plus heureux des elfes, si ce n’était cette bosse qui s’était formée au fil du temps penché sur sa tâche. L’elfe souffrait de scoliose et de solitude. Alors il confectionnait des anneaux de différentes tailles, rêvant d’en passer un à l’annulaire d’une quelqu’une.

Un jour de marché, il la rencontra. Elle cherchait un panier, il en vendait. Il bégaya quand elle lui demanda le plus joli. Elle éclata de rire, il fut conquis. Mais le père de la demoiselle n’entendait pas se laisser attendrir sans férir. Il décréta qu’il accorderait la main de sa fille à celui qui apporterait en dot un chef-d’œuvre d’artisanat. Il fit savoir dans tout le pays qu’il attendait les prétendants dans trois lunes.

L’elfe se lança dans la confection d’une malle pouvant accueillir le trousseau de celle qu’il voulait sa promise. Mais il ignorait tout de sa composition, sauf qu’il ne s’agissait pas de clé. Des draps, des robes et des chapeaux ? Un peu de vaisselle, des bijoux, des chaussures ? Et la liste s’allongea, car, dans le doute, il imagina y inclure des mouchoirs, un nécessaire de correspondance, voire une machine à coudre. Il commença à tresser. Sa réserve de saule s’amenuisait de jour en jour. Il commença à stresser, ses 24 doigts occupés à virevolter avec virtuosité.

Quand l’elfe se redressa, ce fut pour découvrir sa malle. Elle était belle, elle était grande, si grande qu’il sut qu’il ne pourrait jamais la transporter. L’elfe en détresse s’écroula dans la malle, ferma les yeux, et se laissa bercer par le chant de ses pensées. L’idée jaillit. Il sauta sur ses pieds, et avec le peu d’osier qui lui restait, se remit à tresser.

Le grand jour arriva. L’elfe se rendit à la demeure de celui qu’il souhaitait appeler beau-papa. Il y avait foule et moultes belles œuvres. Père et fille apparurent et découvrirent les créations. Certains tentaient de séduire la fille avec des pièces d’orfèvrerie ou des robes de haute-couture en soie et dentelle. Le père soufflait avec dédain, sa fille n’était pas une courtisane ! D’autres préféraient flatter le père avec un portrait grandeur nature en bois ou même en bronze. Elle s’en détournait vivement, car ne voulait pas voir son père en sculpture. Il évalua, en connaisseur, une horloge carillonnante, elle leva les yeux au ciel. Elle s’arrêta devant des escarpins de sept lieues, il pesta, aurait-elle des velléités à s’éloigner de lui ?

– Qu’as-tu donc pour ma fille ?
L’elfe offrit une rose tressée, merveille d’adresse et de finesse. L’homme haussa un sourcil :
– Dis donc bossu, penses-tu vraiment que ce soit suffisant ?
La jeune fille s’extasia :
– Elle est magnifique !
L’elfe s’inclina humblement :
– Elle est si peu de chose, je le crains.
La demoiselle prit délicatement la fleur, si réaliste qu’elle la porta à son nez.
– Oh, s’écria-t-elle, quel agréable parfum !
– C’est celui de mon atelier de vannier, qu embaume de tous les matériaux que je travaille.
Elle caressa les pétales :
– Quelle douceur s’émut-elle. Comment avez-vous fait ?
L’elfe murmura :
– J’ai mis tout mon cœur à l’ouvrage.
La demoiselle rougit, l’amour fleurit. Le père en prit son parti et soupira : « qu’il en soit ainsi. »

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